Reprogrammer une culture d’entreprise défaillante

Reprogrammer une culture d’entreprise défaillante

Il y a quelques années, j’ai eu le privilège d’intervenir auprès d’une centaine de managers d’un grand groupe français. L’atmosphère de la salle était plutôt tendue. Bien que l’intention même de cette journée ait eu pour objectif d’installer de nouveaux codes managériaux, tels que la bienveillance et la confiance, l’immense majorité du public me recevait sur la pointe des fesses, prête à se lever d’un seul homme si je dépassais le cadre rigide qui m’était imposé.

Ils ne me paraissaient d’ailleurs pas plus ouverts que ne le serait un dictateur devant un traité de paix, une bouteille de shampoing devant le crâne lustré d’un moine tibétain, ou qu’un bocal de langue de bœuf devant l’assiette d’un végane convaincu.

D’ailleurs, l’organisateur de l’événement s’affirmait l’avant-veille sur LinkedIn d’un discours acide à l’égard des coachs et autres « gourous du mieux-être » qui, selon lui, fissurent les âmes et mollifient les esprits pour mieux s’enrichir des malheurs qu’ils proposent d’atténuer. La table était mise, accueillante et fleurie.  

Mais je ne me dégonfle pas, attaquant le sujet par cette introduction que je reprends souvent dans mes ateliers et conférences: « Au cours de votre carrière, vous, comme moi, allons-nous lever plus de 10 000 fois pour nous rendre au bureau. Une grande majorité d’entre nous s’y rendra la peur au ventre parce qu’elle porte en elle les pesantes séquelles d’un traumatisme professionnel : une humiliation publique, une parole irrespectueuse, une brimade récurrente, un regard désapprobateur, une iniquité flagrante, un geste déplacé, un racisme voilé, une insidieuse pression… J’en passe et des bien pires ».

Je les invite d’ailleurs à lever la main pour savoir s’ils se sentent concernés par cette affirmation : ce qu’ils font, à l’unisson, d’un signe discret, comme pour se délivrer d’un honteux secret qu’ils croyaient être les seuls à connaître. La glace se fissure sous le poids des maux.

Je leur propose alors de réfléchir à la question suivante : « Une grande partie d’entre nous ne serait-elle pas responsable du syndrome post-traumatique d’un autre ? »

Bien que cette fois-ci je ne les invite pas à me confirmer cette hypothèse, 2 mains se lèvent, courageuses ; suivies de 4 autres, fébriles ; puis de 26, confessionnelles… Si les autres mains ne cèdent pas à l’impudeur du moment, je vois que certains regards sont bas… La messe est dite.

Je prends alors un moment pour que raisonne ce silence, prétextant vouloir me désaltérer… S’attendant sans doute à être absous d’un jet d’eau sacré de ma bouteille de Perrier citron, ils me sourient d’un air coupable, mais non responsable, convaincus peut-être qu’il n’y a rien là. « C’était avant », me dit l’un d’eux, l’œil espiègle.

Ironisant du pardon qu’il venait de s’offrir, il renchérit d’une affirmation libératoire : « Faute collective à demi-avouée, enjeu de société pardonné. » L’écrivain Gabriel Matzneff aurait été d’accord, mais je ne le suis pas.

Alors la conversation dérive sur le l’épave immergée que la vague traumatique dévoile à chaque ressac. Elle tient dans une indiscutable affirmation : les emmerdes au boulot s’invitent dans nos humeurs personnelles. Ils intoxiquent nos enfants. Ils assombrissent nos nuits. Ils éteignent nos cœurs. Ils activent nos addictions… En résumé : un syndrome post-traumatique ne reste pas au bureau. Il a l’insidieux pouvoir de traumatiser une famille.

Je l’admets, cette introduction n’épargne personne ; surtout pas moi. Mais elle invite à l’optimisme : si un manager a le pouvoir de nuire, il a aussi le pouvoir, et la délicieuse responsabilité, de créer les conditions gagnantes du mieux-être global.

Alors, ne nous épargnons pas de ce constat qui met en lumière les conséquences tsunamiques d’une culture d’entreprise défaillante, parce que le faisant, nous éteignons le pouvoir d’un manager de créer une spirale ascendante créatrice de mieux-être professionnel, personnel comme familial. Et je l’affirme, cette intention doit être le point de départ de toute transformation d’entreprise, parce que sans elle, les talents ne sont pas disponibles.

Mais ce n’est pas simple parce qu’il ne suffit pas d’affirmer que l’on change de voie/x pour réussir. Un syndrome post-traumatique collectif ne s’éteint pas d’un coup de baguette magique.

C’est un processus conscient qui s’établit autour d’une approche séquentielle en 3 temps :

  1. Créer le cadre qui permettra de pardonner l’indicible sans mettre à risque l’entreprise de se piéger dans un processus nominatif anxiogène.
  • Impliquer toutes les strates de l’organisation afin d’établir un nouveau contrat de confiance qui fiertilisera l’entreprise et ceux qui la font vivre.
  • Injecter ce contrat dans l’expression d’une nouvelle raison d’être d’employeur afin d’en sceller l’importance.
  • Mettre en place, équipe par équipe, des leaders-bien-veilleurs enrichis de soft skills qui font du bien. Formés, ils seront les gardiens de la démarche et s’assureront que les dérives s’estompent pour toujours…
  • Faire de cette fierté retrouvée le 1er levier de croissance, d’attraction et de rétention de la marque.

C’est en créant des âmes fortes que l’on crée des acteurs de changement engagés, confiants et collaboratifs. Je ne vois pas de raccourcis.

RH : Sortez du syndrome des 5 C (C’est Con, mais C’est Comme Ça)

RH : Sortez du syndrome des 5 C (C’est Con, mais C’est Comme Ça)

99% de vos collaborateurs ne veulent qu’une chose : le succès de l’entreprise pour laquelle ils s’engagent. Alors, ne gérez pas vos ressources humaines autour du « 1% déviant ». Choisissez plutôt de valoriser les moutons noirs.

Au cours d’un mandat visant à aider une PME d’une centaine de collaborateurs dont les équipes manquaient d’engagement, formaté par une culture d’entreprise contrôlante, j’ai proposé l’idée que le « Manuel des employés » qui contenait plus de 80 pages devait être repensé. En effet, au fur et à mesure des ajouts et changements successifs des RH, les collaborateurs étaient perdus dans des couloirs administratifs dont l’objectif principal visait à combattre les dérives d’une infime partie des salariés. 

Les collaborateurs se sentaient infantilisés, traqués, et « traités comme des bêtes que l’on puce pour mieux en contrôler le mouvement. »  

Évidemment, les ressources humaines n’avaient aucune envie de revoir les protocoles qu’elles avaient mis des années à bâtir et enrichir de nouvelles politiques, parfois même, contradictoires. 

J’ai donc proposé le challenge à une équipe de 12 collaborateurs aux origines et compétences diverses de s’enfermer un week-end dans un luxueux chalet de montagne pour réécrire ce manuel, afin d’en extraire l’essentiel et d’en retirer tout ce qui leur semblait inutile et infantilisant. Résultat : des 80 pages initiales, il ne restait que 20 pages… Toutes les règles et formules qui visaient le « 1% déviant », terme pour désigner celui qui tente de contourner les règles pour son bénéfice personnel, ont été retirées de ce manuel de l’employé. Ce vent de confiance a rapidement libéré les énergies individuelles et collectives, sortant les collaborateurs de leur torpeur.

La théorie des 5C couramment entendue dans les couloirs de l’organisation – C’est Con, mais C’est Comme Ça – s’est magiquement changée en celle de Nike.

Le WHY est un recommencement

Le WHY est un recommencement

LE « WHY » de Simon Sinek est aujourd’hui porté par une raison d’être qui exprime la finalité du projet de l’entreprise. Il réengage et remobilise les parties prenantes qui font vivre la marque (ses leaders, ses collaborateurs, ses clients, ses fournisseurs, sa communauté, …) autour d’un projet humaniste, bienveillant et responsable.

LE HOW EST UNE CONDITION DE RÉUSSITE

Plus que jamais, c’est une raison de croire à la sincérité de la raison d’être ; une démonstration de l’authenticité du projet de marque par la façon de faire et d’être de l’organisation.

LE WHAT EST UNE PARENTHÈSE

Il incarne la création de valeur qu’offre l’entreprise par ses produits et services. Il évolue de façon continue afin de répondre aux besoins immédiats et émergents de son marché.

L’organisation doit réévaluer son « what » au gré des besoins de société émergents. 

Les baleines

Les baleines

RSE : personne n’attend de vous que vous sauviez le monde !

Lorsque j’interviens sur des projets de RSE, j’entends trop souvent des formulations d’objectifs irréalisables ou de l’ordre du rêve. Mais un rêve, on s’endort avec…

Alors, à moins que vous ayez les moyens de créer un changement significatif et mesurable, balayez moins large et recentrez-vous sur ce qui se passe devant votre porte. C’est l’annonce d’une raison d’être aux effets tangibles et immédiats qui vous réveillera de bonheur chaque matin.

  • Libérez-vous du carcan de la vision et de la mission. Par nature, il réduit vos activités à ce que vous savez faire et non pas à ce que vous pourriez être.  
  • À moins que vous soyez une entreprise de niche avant-gardiste ou une entreprise internationale aux moyens colossaux, limitez vos ambitions à une raison d’être accessible à court ou moyen terme. Il n’y a rien de plus démobilisateur qu’un objectif jamais atteint. 
  • Considérez les cibles qui sont sous vos yeux avant de regarder au loin. Vos collaborateurs, leurs familles, les communautés locales, la proche nature vous regardent de près. Pas les baleines.
  • Ne confondez pas vos dettes (ce que la société attend minimalement de vous) et vos dons (ce qui pourrait vous distinguer de la moyenne industrielle). Respecter la santé mentale et physique de ses collaborateurs est une simple attente minimum – donc une dette à honorer – et non un don de marque à partir duquel vous pourrez bâtir votre RSE. 
  • Et surtout, ne promettez rien à vos clients ou vos marchés que vous ne sauriez promettre à vos collaborateurs. « Vous supporter dans vos projets comme nous le ferions avec un membre de notre famille » est une promesse louable… pour autant que vous l’appliquiez aussi à vos collaborateurs.

Évitez la cacophonie stratégique avec la méthode VERDI.

Avant de lancer votre orchestre dans une nouvelle symphonie stratégique (repositionnement, marque employeur, exploration de votre raison d’être, planification, ou simple rencontre de travail), posez-le cadre et accordez vos violons…

Saviez-vous que les orchestres prennent toujours le temps de s’accorder au « La » qu’impose le son du Hautbois. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Parce qu’il est universellement reconnu pour la clarté de « sa voix » et la justesse de sa proposition…

En entreprise, c’est la même chose. Pour éviter la cacophonie, il faut vous entendre sur celui ou celle qui jouera le rôle du Hautbois. C’est à lui de poser le cadre de vos rencontres ou de vos travaux stratégiques…

Je vous recommande la méthode VERDI:

Valeur. Énergies. Réalisation. Décision. Imperfection.

Cette méthode répond à 5 grandes questions fondamentales :

  • Quelles sont les Valeurs dont nous allons avoir besoin ?
  • Quelles sont les Énergies disponibles ?
  • Quelle Réalisation voulons-nous atteindre?
  • Quel sera notre processus Décisionnel ?
  • Quel niveau d’Imperfection acceptons-nous ?

1. Quelles sont les Valeurs dont nous allons avoir besoin?

C’est évidemment le contexte qui définit les valeurs.

Si, par exemple, le sujet nécessite de faire appel à la créativité (un brainstorming sur l’expérience client ou collaborateur), choisissez des valeurs qui libèrent les énergies comme « l’imperfection », « l’humour » ou « le désordre ».

Si la rencontre porte sur un sujet chargé d’émotion (culture, gouvernance…), choisissez « La bienveillance » sans laquelle, la confiance ne pourra s’établir. etc.

Et évitez les valeurs désincarnées comme l’intégrité, l’honneur ou le courage… à moins que le sujet porte sur une l’intention de prendre vos responsabilités face aux enjeux du monde. Dans ce cas, appelez-moi (!)

2. Quelles sont les Énergies disponibles?

Faites un rapide tour de table afin de comprendre le contexte individuel de chacun.

Je viens de passer une matinée de m.. Si ça vous va, je vais me limiter à la prise de notes.

Je reviens de 2 semaines au soleil, laissez-moi animer la rencontre !

Accueillez les envies, les vulnérabilités et ne cherchez pas imposer le même puissance de jeu à tous; intégrez l’idée que vos joueurs ont des énergies qui varient selon les jours, circonstances, humeurs, sujets…

3. Quelle Réalisation voulons-nous atteindre?

Évitez l’échec et ne mettez pas la barre trop haute ! Accordez-vous sur des étapes accessibles et des paliers raisonnables qui vous permettront de saluer les avancées, reconnaître les génies et « fiertiliser » l’équipe.

4. Quel sera notre processus décisionnel?

Pensez à définir des règles dans ce domaine. Notre rôle est-il d‘imaginer des solutions, de hiérarchiser des options ? Sommes-nous habilités à prendre des décisions ? Jusqu’où pouvons-nous aller de façon autonome ? Comment trancher en cas d’égalité ? Quelqu’un a-t-il un droit de veto et dans quel domaine ?

5. Quel niveau d’Imperfection acceptons-nous?

C’est l’oublié de la mécanique et pourtant, c’est le plus important si, comme je l’imagine, vous voulez prendre soin de la santé de vos équipes…

Que se passera-t-il si on échoue dans notre mission ? Avons-nous un filet de sécurité ? De quelle grosseur sont ses mailles ? Quel niveau de finesse voulons-nous atteindre ?

… Alors je vous invite à nommer un hautbois dans votre équipe. Gardien de la démarche, il sécurisera le cadre et enrichira l’équipe de l’apprentissage des faux pas.